vendredi 22 décembre 2017

Vis ta vie




Il s’est réveillé au milieu de la nuit. Ce n’était pas la première fois que cela lui arrivait. Comme d’habitude, il s’est empressé de regarder l’heure sur son réveil pour se repérer dans le vide et l’obscurité. Il était deux heures trente du matin. Cela voulait dire qu’il avait dormi au moins pendant trois heures et qu’il lui restait encore quatre tours de cadran avant la sonnerie fatidique du réveil. Devait-il s’en réjouir ou s’en inquiéter ? Quatre heures de repos ou d’attente interminable ? Il s’est levé pour aller aux toilettes. Il a ouvert le tiroir sous le lavabo pour prendre la boîte de somnifères en se demandant s’il était raisonnable d’avaler un demi-comprimé à cette heure-ci. Il a finalement choisi de ne rien prendre et de laisser le hasard décider de son sort pour le restant de cette nuit.

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mardi 12 décembre 2017

"Lève-toi et Marche": à la rencontre des gymnasiens


           Frédéric Lamoth et la classe 2M08 à la bibliothèque du Gymnase de La Cité (Lausanne). 
           Photo de Jacques Troyon

Roman des Romands 2017-2018


Sélectionné pour l’édition 2017-2018 du Roman des Romands, « Lève-toi et marche » (cinquième roman de Frédéric Lamoth, paru en 2016 chez Bernard Campiche Editeur) a connu un joli bout de chemin avec quelques centaines de gymnasiens qui ont lu le livre et ont eu l’occasion de rencontrer l’auteur.

dimanche 10 décembre 2017

La princesse blanche


La guerre était une rumeur qui parvenait jusqu'à nous dans les nuits claires de l'été. Elle martelait nos rêves de sa voix grave. Quand toute la montagne retenait son souffle, nous savions que quelque chose se préparait de l'autre côté des Alpes. Je me souviens d'un soir d'orage. La pluie s'est mise à tomber. Son rideau dense nous laissait voir les éclairs qui se faufilaient à travers lui. Des seigneurs des ténèbres se sont mis à hurler à la mort, des avions emportés par le vertige de la tempête. Les flashes rouges des fusées d’éclairage les précédaient.

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lundi 17 juillet 2017

Sur la plage des Anglais




Sur la plage des Anglais

Petite histoire de football d’un autre temps.


Ils sont vêtus de blanc. Entièrement de blanc. La couleur du ciel au-dessus du Rio de la Plata. Celle des maillots amples qui flottent dans le vent ou du vent lui-même, intense, insaisissable. Ils courent le long de la plage. Playa de los Ingleses… Ou peut-être Playa Malvin ou Playa Verde. Le mouvement est un souffle, une inspiration, aussi fluctuante que la brume qui se dissipe sur l’océan. Blanc comme l’écume des vagues.

Alors, j’entends la voix d’Evaristo qui se tient derrière moi… Ou plutôt derrière l’enfant de neuf ans dans lequel je me reconnais.

-  Angel Romano… José Piendibene… Carlos Scarone… Son frère, Hector… Et Alfredo Foglino, là tout devant.

Les joueurs de la Céleste. Leurs noms me reviennent, sans que j’aie à les invoquer dans ma mémoire. Les hommes ralentissent et baissent les bras devant l’océan. Ils avancent en marchant maintenant. L’un d’eux est resté en arrière. Il revient sur ses pas. Il s’accroupit sur le sable, face aux vagues. On dirait qu’il a perdu quelque chose. Un de ses camarades l’interpelle d’une voix à peine audible.

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mercredi 12 avril 2017

Un Jour en Suisse (2) - L'Enfant Seul

Cette rubrique contient des textes et nouvelles proposant un regard intimiste sur la Suisse du vingtième siècle. Ce texte en est le second volet:
Saint-Gingolph, 22 et 23 juillet 1944


Tout est si tranquille. Il n’a jamais pris conscience du calme qui règne dans la cuisine, un endroit où il a l’habitude de se trouver de passage, attiré par une odeur, une envie. Une place où il y a toujours quelque chose qui bout, qui mijote sous un couvercle. C’est une sensation qui culmine, quand on sait que cela sera bientôt prêt, que l’attente, la satisfaction d’un besoin et le rassasiement se succéderont dans un enchaînement naturel. Mais tout cela se confond en cet instant, se superpose, s’annule, devant cette impression de calme plat. Il voudrait lever les yeux pour interroger sa mère. Un simple regard de sa part suffirait pour lui signifier que tout est normal. Il sait que son absence est à l’origine de cette tranquillité qui à son âge lui fait peur. Il remarque pour la première fois le tictac de la pendule. Il scrute la pelure d’un oignon qui lui paraît si fine avec ce brun particulier. Le bébé ne pleure pas. Elle l’a emmené avec elle. Il sait qu’elle n’est pas partie pour longtemps et qu’elle reviendra. Quand il est rentré en courant dans la cuisine, il s’apprêtait à lui demander ce qui se passe. Car le calme est ce qui contraste avec la tension du dehors.
Il est sorti en fin d’après-midi pour aller jouer près de l’étang. Il n’a pas demandé la permission à sa mère. Pourquoi aurait-il dû le faire, alors qu’il a l’habitude d’aller et venir dans les parages, comme tous les autres enfants du village ? Peut-être parce qu’il pressentait qu’elle s’y opposerait cette fois. Il a vu les visages des adultes empreints de gravité, les hommes qui se concertaient et tardaient à rentrer à la maison, les femmes qui se tenaient aux aguets, accoudées aux fenêtres, échangeant des regards appuyés, au lieu de bavarder. On savait qu’il se passait quelque chose tout près d’ici, de l’autre côté de la frontière. Il a capté quelques propos dans la bouche des adultes. Ils sont pris… Cette fois, c’est fini… Il y aura des représailles… Quelle folie, quelle imprudence… On va tous payer à cause d’eux.

dimanche 26 février 2017

Un Jour en Suisse (1) - L'Histoire de l'Ours

Cette rubrique contient des textes et nouvelles proposant un regard intimiste sur la Suisse du vingtième siècle. Ce texte en est le premier volet:

L'Histoire de l'Ours

On raconte que, au mois de mars 1935, un ours s’est échappé de la fosse à Berne et qu’on l’a retrouvé devant l’échoppe d’un charcutier. Le père de Rüdi se plaisait à raconter cette histoire en l’édulcorant à sa façon. Le plantigrade se serait dressé sur ses pattes arrière, faisant docilement la queue avec les ménagères pour réclamer sa part de Bratwurst. De là est née l’image de la bête sauvage qui se tient dans cette posture, un peu contre nature, et avance d’un air hagard, quand Rüdi pense à ces années-là.
Son père lui a appris à marcher droit. Cela voulait dire se tenir droit, bien sûr, mais aussi adopter une certaine posture. Déterminée et à la fois désinvolte, avec les mains dans le dos, le poing à demi-fermé. Marcher sans dévier de sa trajectoire, cela va de soi, ce qui n’empêchait pas de regarder autour de soi, en gardant l’esprit libre, la tête en mouvement pour saluer, acquiescer au babillage de la vie.

mercredi 22 février 2017

Soeurs de sang (roman feuilleton): Episode 2


 
 
Alcides se réveille en sursaut. L’image d’un rêve stagne au-dessus de lui. Une femme est étendue. Une fumée s’échappe de sa tempe gauche. Une longue bouffée de couleur pourpre. Sa tête repose sur un écrin de cheveux noirs. Les yeux sont clos. Le visage est serein. Un sourire scelle ses lèvres. Elle est nue. Et cette nudité paraît lointaine, inaccessible au désir, en marge des sentiments humains, comme le corps d’une noyée que préservent les eaux calmes. Une luminosité court à fleur de peau, comme si elle remontait vers la surface, émergeait dans un jour radieux. L’hémorragie se poursuit, elle n’en finit pas de se vider de cette humeur trouble. Le rêve prend la forme d’un ruban qui se détache et ondule dans le vide en crevant l’écran de la lumière.

Il se lève. Il se précipite sur le balcon. C’est un jour d’octobre, terne comme les autres. Il regarde le parc et les arbres encore engourdis par la brume. La place est déserte et le dessin à la craie garde encore ses couleurs en filigrane.
Sibylle… Est-elle encore en vie ? Il n’a pas rêvé d’elle, mais de l’autre, celle qu’il ne reverra sans doute jamais. Il revient à l’intérieur et saisit le téléphone portable de la jeune fille qui est resté sur la table de la cuisine.
« Vous avez un nouveau message. »
 « Elle s’appelle Sibylle Vanel. Elle attend que vous lui rendiez son smartphone. Hôpital de la zone ouest, soins continus de chirurgie, neuvième étage. »
 Le numéro de l’expéditeur n’est pas celui de l’homme qu’il a appelé hier soir. Il le trouve dans la liste des contacts, sous le nom de Tamara. Sans doute une amie.

C’est jeudi. Il a cours à la fac, mais il décide de ne pas y aller. L’hôpital de la zone ouest se trouve à l’autre bout de la ville. Il ne s’y est jamais rendu auparavant. S’il n’y a pas trop de circulation, il pourrait y être assez rapidement avec son scooter. Il répond : « J’arrive dans une demie heure. »

 La matinée est déjà bien avancée quand il parvient dans le hall principal de l’hôpital. En passant devant le kiosque à journaux, il aperçoit les gros titres sur les manchettes : « Acte barbare dans un café », « le terrorisme atteint notre cité ».
Machinalement, il s’arrête et scrute l’étalage des couleurs sur la devanture du marchand. Il s’attarde un instant devant l’étagère des boîtes de chocolat. Certaines ont déjà leur emballage cadeau. La boutique d’un fleuriste se trouve juste à côté. Il s’y rend, attiré par le blanc délicat d’une fleur qui se dresse dans un papier cellophane. Une orchidée. Il se décide à l’acheter.
Le téléphone de Sibylle se met à sonner au moment où il quitte la boutique. Il s’arrête, affolé. L’écran affiche le même numéro, codé sous le nom de Tamara. Il reste immobile, pétrifié, comme si une voix allait l’assaillir subitement au milieu de cette foule indolente. Un enfant le bouscule en entraînant sa mère à sa suite vers le rayon des bandes dessinées. Son enthousiasme le tire de sa torpeur.
- Ah, vous vous décidez enfin. J’ai cru que vous n’alliez jamais répondre… Etes-vous déjà arrivé ? Je voulais vous dire d’attendre en bas. Mais... Je vous vois ! Retournez-vous. Vers la cafétéria. Une fille avec un manteau rouge.
Il situe immédiatement la femme qui est assise seule à une table ronde. Une brune au teint pâle qui le scrute intensément de ses yeux verts, sans sourire, sans desserrer les lèvres. Elle ne lui laisse pas le temps de se présenter :
- Tamara… Mais je suppose que vous connaissez déjà mon prénom. Je suis une amie.
Ils ne se serrent pas la main. Alcides finit par s’asseoir sans y être invité. Ils s’observent mutuellement. Elle ressemble à une secrétaire de direction, avec une coupe au carré, de longues mèches qui épousent la courbe de son visage. Un mélange de charme et d’austérité. Il attend qu’elle le questionne.
- Je pense qu’il vaudrait mieux que vous ne montiez pas la voir… Je devrais être au travail, mais j’ai pu me libérer. Vous aussi ?
- J’ai séché les cours de la fac.
Elle lève un sourcil étonné.
- Enfin, j’étudie la philo et je suis indépendant. Je suis développeur de sites informatiques… Comment va-t-elle ?
- Elle a été opérée cette nuit. C’est sérieux. La lame a pénétré sur une dizaine de centimètres. L’intestin est perforé. Ils ont dû réséquer un bout de côlon. Il y a un risque d’infection… Et vous ?
- Ça va.
Elle l’interroge de ses yeux aux reflets d’aigue-marine. Il baisse la tête et remarque les deux tasses de café vides devant elle.
- Je peux vous offrir quelque chose ?
- Non merci.
- Tout s’est passé si vite…
- Vous étiez avec elle ?
- J’ai fait de mon mieux pour lui venir en aide.
- Je veux dire : vous étiez avec elle au moment où cela s’est passé.
- Je suis arrivé après. J’ai vu et… Je suis rentré. Elle était recroquevillée contre la paroi, dans le fond de la salle.
- Donc, elle n’était pas avec vous… Alors, avec qui ? Ce café ne se trouve pas dans le quartier où elle habite, où elle travaille. C’est à l’autre bout de la ville. Elle n’avait aucune raison de se trouver là à cette heure-ci. C'est étrange… Elle vous a remis son smartphone. J’ai pensé que vous vous connaissiez, qu’elle devait vous rencontrer là-bas… C’est ce qu’il croit aussi…
Alcides soutient le regard dubitatif de la jeune fille qui apparaît encore plus pâle.
- Alex… Ils vont se marier dans deux semaines.
- J’ai vu les assaillants sortir en trombe. Personne d’autre… Quand je suis rentré, il n’y avait que trois clients. Le… Enfin, la victime… Un vieux monsieur seul à une table. Et elle… Il y avait aussi quelqu’un près de la porte, une dame qui s’est esquivée; je n’ai pas vu son visage. Je n’ai vu personne d’autre.
- Bon… Merci… Merci de sa part. C’est une fille forte et courageuse. Je pense qu’elle se remettra vite. Mais elle a besoin de repos… Que faites-vous avec cette fleur ?
- Je… Je pensais la lui offrir.
- Elle déteste les orchidées… Allons, il ne faut pas la déranger maintenant.
Il se lève.
- Vous oubliez quelque chose.
Pour la première fois, elle lui sourit et tend la main. Il rend le téléphone portable en bredouillant une excuse.
Tamara s’éloigne en direction des ascenseurs. Elle est grande, plus grande qu’elle n’y paraissait au premier abord. Elle marche d’un pas ample à travers cette foule, cette rumeur confuse, qui semble ne pas avoir d’emprise sur sa silhouette aux contours lisses. Les portes de la cabine se referment sur elle. Il croit entendre le son d’une voix off qui l’accueille à bord. « L’ascenseur monte. »
Il retourne au kiosque et achète le journal. L’événement s’étale sur une double page. On en sait un peu plus sur l’identité des agresseurs. Deux hommes âgés de vingt-trois et dix-neuf ans. On a aussi publié le témoignage du tenancier du bar. Alcides s’efforce de le retrouver dans sa mémoire, mais il ne voit personne derrière le comptoir. Seulement des bouteilles alignées, intactes, renfermant des couleurs qu’une lumière caresse en profondeur. Le témoin dépeint la scène du crime. Le couteau qui frappe à répétition la gorge de la victime. Aucune mention de ce coup bas qui envoie la fille par terre, la fait rouler contre le mur. A cette lame qui reluit maintenant d’un sang mêlé. Pas d’allusion à l’autre femme qui s’éclipse et laisse son empreinte de velours. Quant au vieillard… Il est sans doute superflu de relater l’épisode de leur confrontation silencieuse après le passage de la tornade. On va jusqu’à pousser l’imaginaire dans le moindre détail en se disant qu’il a réglé sa consommation par quelques pièces sonnantes et trébuchantes.
Non, rien de tout cela. Peut-être a-t-il rêvé ? La fille qu’il vient de rencontrer pourtant est bien réelle. L’éclat de ses yeux froids parle d’une même vision, raconte la même histoire.

 Il a quitté l’hôpital. Il marche en s’éloignant du parking. Il porte toujours l’orchidée qui s’incline avec sa grâce solitaire. Son long pistil et ses pétales ouverts semblent vouloir lui chuchoter quelque chose. Il rentre à pied, se disant qu’il ira chercher son scooter un autre jour, quand il reviendra la voir. Il traverse tout le centre-ville en préservant sa fleur dans le mouvement de la foule. Lorsqu’il arrive devant chez lui, il fait une halte dans le parc. Il prend son téléphone où il a pris soin d’enregistrer le numéro de Sibylle. Il lui envoie le message suivant :
 « Alcides Forbin. Boulevard des Bastions 14, cinquième étage. »
 
Suite de l'histoire à suivre online sur le site:
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